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Rencontres, discussions, essais ou témoignages écrits, cette section dévoile une recherche empirique sur le pouvoir de la fleur. Horticulteurs, fleuristes, artistes, designers, sémiologues, sociologues, commissaires, acteurs de la fleur coupée sont invités à composer un ensemble d’écrits, socle d’une pensée commune.

Index

Clément Moulin – Travailler de
manière saisonnière

Rédaction : Atelier Java Article élaboré à partir d'une conversation par Offrir des fleurs Publié le 11.12.2020

Je m’appelle Clément Moulin. Avant d’être horticulteur, j’étais mécanicien moto. Cela fait presque vingt ans que je suis installé sur la Côte d’Azur où j'ai appris à travailler le muflier, la renoncule, l’anémone, et quelques cultures annexes comme la célosie, le giroflée et le glaïeul.

J’ai vu l’horticulture évoluer depuis mon installation. Par exemple, la plupart des produits chimiques et nocifs ont été interdits, sans pour autant trouver d’équivalent en bio ce qui représente une réelle problématique pour le démarrage des cultures. Il y a quelques années on utilisait du bromure de methyl – du gaz dans le jargon – c’était efficace. Depuis, on solarise, c’est-à-dire que nous couvrons le sol de telle sorte à ce que la température soit la plus élevée possible pendant un mois et demi pour contribuer à désinfecter la terre, à diminuer la présence de champignons, de manière naturelle. Certains produits chimiques restent autorisés mais ils sont à la fois dangereux à manipuler et onéreux pour des résultats comparables, alors autant travailler au naturel.

Quant aux fleurs coupées présentées chez les fleuristes, bien que les professionnels savent ce qu’ils achètent, il est difficile pour les clients de distinguer des fleurs bio et produites en France, des autres. Quelques signes permettent de les distinguer : le muflier de Hollande est coupé plus court pour des questions d’optimisation de transport et il existe des labels comme “Fleurs de France” distribué au SICA – Marché au Fleurs d’Hyères qui est indiqué sur l’emballage, mais de façon générale, la traçabilité des fleurs est compliquée.

En 2020, la crise sanitaire nous a frappés de plein fouet. Du jour au lendemain, tout s’est arrêté au premier jour du confinement. J’avais du muflier de Pâques, qui était arrivé au bon moment, mais sur une serre à cinq banquettes, je n’ai pas vendu une tige. Tout est parti au tracteur. En termes de calendrier, j'arrête les fleurs fin juin pour dédier les mois de juillet – août à la solarisation et à la préparation des terrains et c’est à partir d'août que je replante toutes les cultures de l’année. Entre les deux confinements j’ai pu récolter en juin et vendre un peu de glaïeuls. J’ai eu peur de perdre toutes mes fleurs roses au deuxième confinement mais j’ai tout de même réussi à en passer la moitié. Les répercussions globales sont sévères et je subis une baisse considérable de chiffre d’affaires.

Je pense qu’il y a encore quelques belles années à venir dans l’horticulture malgré une pression foncière forte et une urbanisation montante. D’un côté, l'agriculture et le maraîchage sont repoussés plus loin, ailleurs. Et d’un autre, on peut entendre de plus en plus d’intérêt pour les métiers de la terre en réaction au travail de bureau. Il faudra trouver un équilibre.

Pierre Charpin – L'homme vase

J’avais vingt-huit ans, c’était en 1990. Cette photographie a été prise dans mon atelier par mon amie de l’époque, Élise Parré. J’avais installé le fond blanc et acheté les fleurs que j’ai placées dans ma bouche. Ce n’est donc pas un photo-montage, plutôt une sorte de performance qui m’a valu un bon mal de cou accompagné d’un âpre goût en bouche ! Je voulais être un vase.

Cette image est emblématique, elle marque pour moi le début de ma pratique de designer. J’ai suivi une formation à l’École des Beaux-Arts de Bourges en tant que plasticien. J’ai choisi de m’écarter de l’art pour l’art et de sa « white box » au moment de ma découverte du mouvement radical et des designers italiens, qui m’a poussé à me positionner du côté de l’objet dans sa dimension domestique. J’ai peu à peu commencé à intégrer les questions de fabrication et de production dans le dessin et dans mon processus de conception.
J’ai choisi d’utiliser L’homme Vase comme illustration du carton d’invitation de ma toute première exposition personnelle à la Galerie Nestor Perkal à Paris. Cette photographie est un acte fondateur qui marque le début de ma biographie.

Je considère le corps comme la mesure des choses, et cette considération impacte ma façon de dessiner. Quand mes assistants traduisent mes dessins en 3D, je ne communique presque jamais de dimensions métriques, je fais un geste. « C’est haut comme ça », et je lève la main pour indiquer une hauteur d’épaule par exemple. « C’est épais comme ça », et je montre l’épaisseur entre mes deux doigts avant d’en relever la mesure. Il m’importe de me fier avant-tout à mes sensations.
L’image renferme quelque chose de l’ordre de la prémonition, puisqu’il se trouve que j’ai dessiné beaucoup de vases par la suite. Ils ponctuent et marquent un état des lieux de mon langage plastique et de ma poétique. Le vase est un objet d’une rare simplicité qui ne comporte aucun problème fonctionnel spécifique à résoudre. Cependant, il n’est pas un simple contenant dans le sens où son créateur le charge d’intentions plastiques et sensibles.
C’est ce qui le rend intéressant. Plus qu’un autre, le vase est un objet de travail idéal qui me permet de me concentrer sur la forme et le langage.
Comme tout objet, le vase alterne entre deux états liés à sa fonction utilitaire : tantôt rempli de fleurs, tantôt vide. Dans cette seconde configuration, le vase n’est alors que pure présence, il occupe l’espace, comble notre peur du vide, et contribue à la constitution de notre paysage domestique. Un beau vase doit se suffire à lui-même.
Le vase se cache rarement dans les placards : avec ou sans fleur, il participe à la composition de notre arrière-plan, comme un témoin de nos vies.

Audrey et Mathilde de Désirée Fleurs – La fleur coupée, comme du fromage AOC.

Rédaction : Atelier Java Article élaboré à partir d'une conversation par Offrir des fleurs Publié le 30.12.2020

ODF : Quelle est l’histoire de Désirée ?

DF : Nous nous sommes rencontrées il y a dix ans quand nous travaillions dans les achats de fromages AOC pour des grands distributeurs, avec comme mission de réfléchir à la manière d’intégrer les petits producteurs. Mathilde était déjà passionnée de fleurs. Pour ma part, j’émettais des réserves vis-à-vis de “l’expérience fleuriste” que je trouvais trop chère, tape à l'œil et déconnectée du produit. Nous avons enquêté sur le sujet : d’où viennent les fleurs ? Pourquoi les horticulteurs disparaissent ? En 2014/2015, Mathilde a passé son CAP fleuriste et passait tous ses week-ends en stage chez des fleuristes traditionnels pour en comprendre le fonctionnement. C’est le 1er septembre 2016 que nous avons tout plaqué pour lancer Désirée. Nous avons poursuivi les visites de producteurs et les enquêtes de terrain partout en France avec l'idée d'ouvrir une boutique qui ne propose que des fleurs de saison. Tout le monde nous affirmait que c’était impossible, que ça ne fonctionnerait pas. Alors, nous avons relevé le défi ! Notre première boutique a ouvert le 11 janvier 2017. Nos premiers clients étaient déroutés puis ont vite compris et adhéré à notre démarche.

Chez nous, tout se vend à l’unité : nous vendons la fleur pour ce qu’elle. Nous vendons des fleurs vivantes et notre enjeu est de vendre les fleurs comme les produits alimentaires. S’offrir une fleur fraîche et s'extasier. Elle dure une semaine, te crée un univers, t’apporte de la vie chez toi, te repose. Par exemple, pendant le confinement j’avais déposé un dahlia dans un soliflore sur le bureau de mon mec en télétravail : ça lui a égayé sa semaine. Chaque fleur doit être vue individuellement, on doit pouvoir profiter de toutes les fleurs.

ODF : Quel est votre avis sur la culture horticole en France ?

DF : Il est vraiment frappant de se rendre compte que les horticulteurs représentent seulement 10% de l’inter-profession qui regroupe aussi les pépiniéristes et les cultivateurs de plantes en pot et massif, principalement organisés autour des grosses productions nantaises ou angevines. La fleur coupée, quant-à-elle, est peu structurée et reste dans ses bassins de production : Nice, Hyères, l'Île de France et la Bretagne ou encore chez des indépendants installés en ferme florale ou qui confectionnent des bouquets chez eux. C’est un marché très éclaté qui développe des techniques très différentes d’une région à l’autre. Les horticulteurs du Var et du bassin niçois fonctionnent souvent en monoculture et ont pu capitaliser pendant les années 80 pour moderniser leur méthode de travail et ainsi diminuer la pénibilité. Ils bénéficient maintenant d’économies d’échelle et sont moins soumis aux problématiques salariales. Ils s’attachent aussi au modèle hollandais, que nous critiquons pour son rapport économique à la fleur où la valeur du marché prévaut. Ceux d’Île-de-France sont souvent plus diversifiés avec parfois plus de deux-cents variétés par production. Nous dépendons d’une filière complète, complexe et assez opaque.

Pendant le confinement, nous avons été scandalisées d’apprendre que certains supermarchés en ont profité pour acheter des fleurs coupées au rabais, et parfois même à perte. Notre ambition se porte sur la chaîne globale : cultiver sainement, vendre correctement, valoriser consciemment.

ODF : Quelle vision de l’avenir de la filière horticole partagez-vous ?

DF : Nous sommes inquiètes. Les chiffres statistiques indiqués par Valor affichent une diminution de 50 pourcents sur les trois-mille-trois-cents producteurs horticoles français ces dix dernières années, et nous avons l’impression que la fleur coupée se porte plus mal que les autres. Nous sommes convaincues qu’une meilleure communication entre les acteurs de la filière : des cultivateurs aux fleuristes en passant par les grossistes et jusqu’aux consommateurs, permettrait de déconstruire des automatismes et préconçus sur la production de fleurs françaises. Si les horticulteurs se diversifient et montent en qualité, ils engagent davantage les fleuristes et permettent d’entrer dans un cercle vertueux, local et respectueux. Il faut valoriser la filière pour faire évoluer son image - encore considérée comme “ringarde” par les camarades et professeurs du lycée de notre stagiaire de actuelle de 3ème par exemple. Il faut former et s'intéresser à l’horticulture.

La crise sanitaire actuelle démontre que la fleur coupée constitue un besoin primaire, notamment en milieu urbain. Il faut aussi se souvenir que la fleur est cultivée depuis des milliers d’années et que les périodes intensives de culture et de commerce de fleurs correspondent toujours à des cycles de fin de civilisation : fin de l'Égypte ancienne, fin de l’Empire romain. Ils concordent avec des moments d’inégalités démesurées entre riches et pauvres, avant que tout ne s’effondre. Peut-être sommes-nous face à un enjeu de civilisation ? Peut-être qu’il nous revient d’inverser la tendance et contribuant à la démocratisation de l’accès à la fleur ? Comment la beauté peut-elle adoucir les mœurs et éviter cette fracture de fin de la civilisation ?

Michel Dessus – Un père répond à son fils

RÉDACTION : ATELIER JAVA ARTICLE ÉLABORÉ À PARTIR D'UNE CONVERSATION PAR OFFRIR DES FLEURS PUBLIÉ LE 26.01.2020

CD : Peux-tu me raconter l’histoire de ton exploitation horticole ?

MD : C’est une exploitation familiale que mes parents ont montée dans les années 50. Ils ont commencé avec des cultures d'œillets en plein champ, que l’on appelaient “ordinaires” à l’époque. Ces fleurs ont été une véritable réussite dans les Alpes-Maritimes et leur ont permis de gagner leur vie assez confortablement, je dois l’avouer.
Les toutes premières serres de l’exploitation étaient en bois et, malgré une piètre sécurité, elles ont tout de même permis à la production d’évoluer et de passer à une phase supérieure. Dans les années soixante-dix, un œillet américain beaucoup plus sophistiqué est venu s'installer : le Sim. Son arrivée s’est accompagnée de la rénovation des serres de l’exploitation, avec poteaux en ciment et structure métallique. Je me rappelle que mes parents me disaient qu’ils essayaient d’en moderniser une par an. L'œillet américain s’est bien vendu et a fait la fortune de certains horticulteurs du département.
La situation s’est dégradée rapidement. Le Fusarium Oxysporum, une maladie qui a dévasté les plantations, les a poussés à s’orienter vers une variété moins belle mais plus résistante : l'œillet hybride. À cela s’est ajoutée la rumeur de "l'œillet porte-malheur” qui a porté un fort préjudice à la production horticole. Il faut ajouter que la culture de l'œillet nécessite beaucoup de main d'œuvre, notamment autour du tuteurage ou du déboutonnage qui représentent des heures et des heures de travail. Après quelques années de culture, en 1974 exactement, mes parents se sont aperçus qu’ils étaient trop coûteux et ont décidé de se tourner vers la culture de gerberas. Cette année-là a rimé avec les premières serres de semis de gerberas variées de plusieurs couleurs, en culture sur banquettes et en pleine terre. Mon père a remarqué que cette plantation était très demandeuse de chauffage pour atteindre une température entre dix-huit et vingt degrés toute l’année. Il avait donc installé le système ambitieux du chauffage à système racinaire qui, au lieu de chauffer les serres, chauffait la racine des fleurs par le passage d’un tuyau contenant de l’eau à trente-cinq degrés.
Les années 80 et leur crise pétrolière ont sonné l’arrêt de la chauffe des serres, qui s’est avérée être une erreur monumentale : la production était réduite à la période estivale qui correspondait heureusement à la saison des mariages, des batailles des fleurs roses et blanches et des manifestations culturelles et festives. Le temps a passé et la chauffe a repris.
Dans les années 90, mon épouse et moi avons repris l’exploitation avec des œillets mignardises et des œillets multi-fleurs. Au départ, nous travaillions tranquillement sur 1200 mètres de serres avant d’investir en 1996 dans un terrain où nous avons lancé la première culture de gerbera en plein champ. J’ai alors pris conscience du travail de mon père et je me suis intéressé à l’aspect environnemental de notre métier. J’ai fait le choix d'arrêter tout produit chimique et une année plus tard je suis passé au système hollandais, en hors-sol, qui a amélioré nos conditions de travail et nous évitait à la fois le désherbage et le traitement chimique du sol. Cette méthode de travail nous a permis de multiplier par quatre les rendements au mètre-carré. Malgré tout, nous continuions à consommer cent-mille litres de fuel par an alors que le prix du pétrole ne cessait de grimper. J’ai décidé d’opter pour une chaudière à bois, qui représentait une installation onéreuse dans les années 2000. Elle m’a coûté environ deux-cents-mille euros, en partie compensés par une aide équivalant à 20% du montant du Conseil Départemental et de la Région. Depuis, je consomme pratiquement quatre-cents tonnes de bois par an, provenant principalement de la récupération de bois de la décharge. Je suis moins attentif à la température car ce système de chauffe m’a permis de sauver mon exploitation et d’exister en 2020. Sans cela, j’aurais arrêté depuis bien longtemps.
Il y a une réelle prise de conscience liée aux produits phytosanitaires, accompagnés par des essais de “protection biologique intégrée”. Cela consiste, par exemple, à introduire des coccinelles pour qu’elles mangent les pucerons. Cette méthode fait ses preuves en maraîchage, moins dans le secteur de la fleur coupée. Pour ma part, j’utilise beaucoup d’huile blanche, un produit non-toxique, qui permet d'asphyxier les insectes indésirables sur la feuille.

CD : Comment vends-tu tes fleurs ?

MD : Aujourd’hui je peux aussi bien vendre mes fleurs à un fleuriste des Alpes Maritimes, qu’à un grossiste corse. Dans le détail, la fleur est ramassée le lundi et le jeudi. Elle est vendue le mardi matin sur le MIN - Marché d'Intérêt National de Nice. J’y ai une place attribuée, un carreau comme on l’appelle, et je vends régulièrement à des revendeurs qui commandent par SMS ou téléphone. Je travaille sur un produit frais de qualité recherché et je me bats contre les grandes surfaces et assimilées pour essayer de respecter ce critère de fraîcheur.
Je remarque qu’avec la crise sanitaire, les consommateurs privilégient les productions locales et la vente directe. Un réel relationnel se crée du fleuriste au client.
À titre personnel, je suis producteur, je ne vends pas aux consommateurs mais bien aux fleuristes et grossistes. Le fleuriste valorise sa fleur dans son magasin, c’est un artisan de la fleur qui la met en valeur à trav ers de belles compositions. Le grossiste, lui, la revend à un fleuriste, c’est un intermédiaire supplémentaire.

CD : Quel est ton engagement pour le secteur horticole ?

MD : Je me suis engagé dans le syndicalisme à l’époque de la guerre du Golfe pour me battre pour un prix du pétrole spécifique et stable pour le monde agricole, notamment sur le chauffage de serre et le carburant à destination des tracteurs. Certaines opérations syndicales se sont couronnées de succès, elles ont permis de débloquer des aides financières et de faire prendre conscience que le véritable levier se trouvait dans l’énergie. De nos jours, tout le monde s’installe en portant une démarche durable, il est impossible de fonctionner au fuel ou au gaz.
Aujourd’hui, je suis Président de la Chambre d’Agriculture du département des Alpes-Maritimes pour défendre la filière horticole française en concurrence directe avec d’autres pays, et principalement la Hollande qui pratique des prix cassés.
Je me bats sur les territoires, dans le département, contre la disparition des exploitations agricoles. Nous menons un travail considérable sur les PLU - Plan Local d’Urbanisme - pour conserver des zones agricoles et maintenir cette activité qui se fait de plus en plus rare. Beaucoup d'agriculteurs ont préféré s’orienter vers le maraîchage moins coûteux, moins contraignant, et qui demande moins d’investissement. Au lieu d’installer une chaudière bois, ils ont préféré diversifier avec les légumes. Pendant la pandémie, les maraîchers n’ont pas de problème de vente par exemple.
Je m’investis aussi dans le plan mis en place suite à la tempête Alex qui a touché de plein fouet notre département. J’agis sur les réseaux sociaux, pour l’aide aux éleveurs et agriculteurs de la Vallée de la Roya qui ont tout perdu : leur outil de travail et leur maison. Notre mission est très claire, elle consiste à remettre en place une économie dans ces vallées.
Au quotidien cet engagement me complique la vie puisque je dois jongler entre la famille, notre exploitation et celles des autres, mais agir pour l’intérêt général m’apporte une réelle satisfaction personnelle. Quand j’ai chargé et déchargé vingt tonnes de foin pour aider les autres : j’ai servi à quelque chose. C’est tout.

CD : Comment imagines-tu l’avenir de l’horticulture ?

MD : Pendant la pandémie, j’ai remarqué que je vendais beaucoup de fleurs en direct, au bord de la route. Les gens étaient en crise mais ils achetaient des fleurs pour apporter de la couleur, pour se réconforter. J’ai l’impression qu’en pleine crise sanitaire les gens en ont besoin, elles sont synonymes de qualité de vie dans leur maison pour contrer l’enfermement.
Sur les deux premières semaines, nous avons abandonné 100% de notre production, ce qui représente environ six-mille tiges. Au lieu de les jeter, nous les avons distribuées à la clinique, aux urgences, aux infirmières, aux aides-soignants de Saint-Laurent-sur-Var, notre commune. Nous avons offert pour faire plaisir. Ensuite nous nous sommes occupés des livraisons funéraires et mortuaires, avec lesquelles l’exploitation a redémarré. En parallèle, les grossistes qui achètent en Hollande, ont décidé de n'acheter que du local. Il y a eu un renversement de la situation. Il y a une prise de conscience en faveur de la consommation locale, par les consommateurs et certains grossistes.
En dehors de cette crise sanitaire, j’imagine un avenir très limité à l’horticulture en France, plus précisément dans les Alpes-Maritimes. Il n’y a plus d’envie de se lancer dans ce métier, et ceux qui l’ont fait sont aujourd’hui très affaiblis par le contexte économique. J’observe encore des installations dans les plantes à parfum ou les huiles essentielles, mais pas en horticulture. En revanche, je pense que ceux qui resteront, vendront aisément. Je le vois sur mon exploitation, plus le temps passe, moins j’ai de soucis de vente. Un horticulteur doit être capable de répondre aux demandes, s’il ne produit pas suffisamment, personne ne le regarde.

Plein Air – Terre agricole parisienne

Rédaction : Atelier Java Article élaboré à partir d'une conversation par Offrir des fleurs Publié le 30.12.2020

Plein air est une association née en 2015 après un véritable parcours de la combattante Masami, qui venait de laisser tomber sa casquette de designer industrielle à Londres. Seule et sans lieu, elle s’est mise en quête pendant plusieurs années d’une terre agricole à Paris. Elle a écumé les stages dans les fermes florales au Maroc, au Pays de Galle et au Japon avant d’obtenir un premier terrain vague au sol de gravats à Montreuil. Elle a poursuivi ses recherches qui l’ont menée ici : au 40 rue du Télégraphe, dans le vingtième arrondissement. La parcelle est une réserve foncière de la SEM - Société d’Économie Mixte - des Eaux de Paris, sur laquelle se trouvent un réservoir et deux châteaux d’eau. Elle fait l’objet d’un bail de dix ans, renouvelable une fois, que Plein Air partage avec Pépin production qui s’occupe des serres.

Depuis trois ans, Masami a réalisé son rêve : monter une ferme à fleurs. Sur le papier, cela se passe comme dans les livres pour enfants, elle fait pousser des fleurs, puis les coupe pour les vendre. En réalité, l’affaire se montre plus ardue. Elle a testé plusieurs méthodes de vente. La première année, elle ne vendait qu’aux professionnels. La deuxième, Masami proposait une vente aux particuliers et des ateliers de composition de bouquets, avec toute la logistique et les complications organisationnelles que cela implique. Elle a ensuite décidé de vendre en extérieur où on l’accusait de voler les fleurs des ronds-points. L’idée d’ouvrir d’ouvrir le champ au public l’effrayait suite à une agression dont elle a été victime. Aujourd’hui, ses craintes se sont envolées avec Anna qui l’accompagne dans Plein Air. À deux, elles ont finalement opté pour l’ouverture de la cueillette et de la vente sur place, en direct. Les portes sont ouvertes le samedi.

Plein Air n’est pas une boutique, c’est une occasion offerte aux parisiens, pour qui il est difficile de glaner quelques fleurs sur le bord d’un chemin, de venir cueillir et composer ses bouquets soi-même à des prix raisonnables. L’association ne fait pas ombrage aux fleuristes, elle propose des prestations de floriculture. Sur place, on peut y voir un petit cabanon de cinq mètres carrés - surface limite qui permet de construire un abri sans déposer de permis de construire - dans lequel y sont entreposés les outils et le liquide qui contient les micro-organismes. Masami a importé cette technique du Japon : il s’agit de traiter le sol comme la flore intestinale avec des pro-biotiques. En trois ans, son sol s’est considérablement amélioré, en utilisant ces micro-organismes comme seul traitement.

La culture du champ est répartie entre les vivaces et les annuelles. Ces dernières se préparent en semis dès janvier. Dès lors, il faut arroser tous les jours. Ensuite, il faut planter au minimum dix-mille plants puis espérer que les limaces ne dévorent pas tout, que le climat soit clément, ni trop chaud, ni trop froid, sans grêle. Quand septembre et octobre arrivent, il faut tout coucher ou hacher menu. Pour 2021, les vivaces - qui demandent moins d’entretien - devraient occuper plus de surface en proportion. Généralement, les horticulteurs cultivent entre dix et vingt espèces différentes. Ici, nous avons entre deux-cents et deux-cent-cinquante espèces qui se déclinent en dix ou vingt variétés chacune, ce qui ne facilite pas la tâche car la conduite : à chaque variété sa conduite. Plein Air est un lieu de production paysager. Il intègre les mouvements du travail, facilite les récoltes tout en étant agréable à l'œil pour la visite. Il apparaît sous son meilleur jour entre juillet et septembre.

Depuis peu, Masami exploite une autre ferme de mille-deux-cents mètres carrés, dans le Perche, dont toute la vente s’effectue à Paris. Elle cumule alors deux productions florales, des missions de traduction régulières ainsi que la rédaction d’une chronique mensuelle pour le magazine Marie-Claire, pour un total de quatre-vingt heures travaillées par semaine. Cette année, elle pourra dégager un salaire à Anna et, bien qu’elle juge qu’il est parfois bon de ne pas avoir tous ses œufs dans le même panier pour un confort personnel et économique, elle se dédiera bientôt pleinement à Plein Air.

Masami constate une vision romancée de la culture de la fleur. De nombreux clients l’interpellent en lui disant : “C’est mon rêve de cultiver des fleurs !”. “Tu veux mes joies ? Prends mes peines !” a-t-elle envie de leur répondre, en pensant aux limaces qui ont dévoré cinquante pourcents de ses annuelles en deux jours, juste à la sortie du premier confinement.
Les fleurs sont les plus grandes représentantes dans le règne du vivant du moment fatidique entre la vie et la mort, elles vivent peu de temps, elles accompagnent tous les moments “seuils” : les mariages, les morts, les naissances, les fêtes, etc. Elles sont les accompagnatrices du passage. Derrière la beauté du produit se cache un monde aux nombreuses contraintes : pénibilité du travail, fragilité économique, concurrence internationale acharnée, prix cassés, charges élevées, relève timide. Il est temps d’informer et de transmettre ce que le commerce de la fleur implique pour une conscience responsable et collective de l’horticulture.

Serge Graverol, directeur du CREAM – Centre de recherches (bientôt)

Étienne Tornier – Vases à fleurs. Autour de quelques vases de la collection du madd-bordeaux (bientôt)

THOMAS HAVET – GENRE (BIENTÔT)

Jean-Marc Malaussene – Production du sud de la France

Rédaction : Atelier Java Article élaboré à partir d'une conversation par Offrir des fleurs Publié le 30.12.2020

Histoire

Mes grands-parents sont arrivés dans le quartier dans les années 20 à une époque où l'agriculture était davantage vivrière. Le commerce de la fleur a commencé après-guerre, période à laquelle les cultures comme celles de l’olive ont laissé place à la fleur : à l'œillet principalement. Il y avait l'œillet niçois - qui avait la particularité de pousser en plein air et de comporter un calice fendu qu’on appelle un crevard - puis l'œillet américain : le sim, et enfin l’hybride : l’évolution du niçois. Mes parents ont beaucoup développé l’exploitation et je les ai rejoints en 1986, il y a trente-cinq ans.

Évolutions

Nous avons conservé une surface équivalente au fil des années, ce qui a évolué ce sont les serres. En bois à l’époque de mes parents, nous les passions au fer tous les quatre ans environ pour qu’elles soient plus robustes. En dehors de cela, il y a eu des avancées techniques en ce qui concerne l'arrosage : du système de dispersion, nous sommes passés au goutte à goutte pour optimiser la consommation d’eau. Au fur et à mesure, nous avons aussi drastiquement réduit l’usage des produits phytosanitaires pour arriver à une culture raisonnée. Nous traitons désormais dès que l’on observe la moindre attaque d’araignées ou de thrips - qui piquent le jeune plant et favorisent le développement de champignons et autres maladies. Malheureusement, dans la culture de fleurs coupées, on ne travaille pas avec les auxiliaires qui fonctionnent bien avec nos confrères de la plante en pot par exemple, car elle ne reste pas longtemps sur l’exploitation. De notre côté, nous gardons les cultures et pour que le lisianthus passe l’hiver, nous sommes obligés d’effectuer quelques traitements, sinon nous risquons de tout perdre.

Économie

Nous avons travaillé en société avec mes parents et depuis qu’ils sont partis à la retraite ils m’accompagnent encore mais je suis seul à gérer l’exploitation. Dans les années 2000, nous avons employé jusqu’à trois salariés. La culture fonctionnait très bien à ce moment, à tel point qu’après le congé parental de mon second enfant, nous avons hésité à ce que ma femme reprenne son emploi. Nous avions imaginé qu’elle s’occupe un peu de la commercialisation. Nous produisions en quantité et vendions bien, il y avait de quoi dégager un petit salaire et payer tout le monde. C’étaient d’excellentes années.

À partir de 2010, la situation s’est compliquée. La concurrence est devenue rude, notamment en raison d’un prix de la main d'œuvre largement inférieur à l’étranger par rapport à chez nous. Les fleurs se sont mises à venir de partout : Espagne, Italie, Hollande - où le SMIC n’existe pas pour les ouvriers horticoles et permet de payer des ouvriers polonais à trois-cents euros par mois. Dans ces conditions, nous ne pouvons pas faire face en France.

Autrement, je vends mes fleurs aux grossistes et aux fleuristes. Avant, j’expédiais beaucoup d'œillets, depuis que je me suis diversifié avec de l’anémone, de la renoncule et du lisianthus, je vends davantage en local.

Crise

Par chance, le premier confinement est tombé à la fin de nos fleurs d’hiver. J’ai tout de même raté un bon mois et demi de production mais nous avons peu jeté, comparé à d’autres. Nous avons replanté pour enchaîner sur un été historique qui a largement rattrapé les pertes. Pour le deuxième, le contexte est différent puisque nous avons planté pour treize-mille euros pour l’hiver, alors on ne doit pas s’arrêter.

Avenir

Le problème du métier d’horticulteur c’est qu’il faut accepter de vivre “hors civilisation”. Quand nous attaquons une période de culture, les départs sont le lundi, il faut préparer le dimanche, c’est quasiment en non-stop. On ne peut plus se faire aider puisque le prix des fleurs ne permet pas de dégager assez pour payer quelqu’un. Les charges sont considérables entre le foncier, l’amendement, l’entretien et l’achat des plants. Pour que la culture soit bonne, il nous faut un mois de mars un peu frais, mais les années sont de plus en plus chaudes. Avant, il faisait frais en mars, les plantes partaient en fleur doucement. Aujourd’hui, tout part en fleur vite et la qualité baisse. Résultat : nous vendons moins bien.
Cependant, il se vend de plus en plus de fleurs, c'est incroyable. Des hôtels, des restaurants qui fleurissent les tables, les consommateurs qui sont demandeurs, mais nous n’arrivons pas à garder la production en France. Le problème s’observe dans d’autres secteurs : l’automobile par exemple. Mis à part le secteur du luxe, qui arrive à se dégager des marges suffisantes, tout s’exporte et se décentralise ailleurs.